Durable du rabe… on en veut encore. « Durable », un terme à la mode et… éphémère ! Voyez plutôt : « Le lien durable », « l’équitation durable », « l’engrais durable » sans oublier le flamboyant « développement durable » et la toute nouvelle « famille durable ». On se prosterne humblement devant lui, il est devenu une étoile médiatique, une étoile filante peut-être mais pour combien de temps encore ?
Pas un jour ne se passe sans que le mot « durable » ne vienne caresser ou bousculer nos oreilles, et avec elles, nos consciences. « Durable » ne désigne de la façon la plus neutre rien d’autre que « ce qui dure longtemps ». Les futurs historiens verront sans doute dans le mot le reflet de notre époque obsédée par ce nouveau symbole après le règne du progrès sans limites.
Il est le catalyseur pratique à la croisée des chemins de l’écologie, de l’économie et de façon plus vaste, d’une certaine bonne marche du monde. Il est l’opposant guerrier de l’éphémère, de la productivité qui abime et qui s’use.
Il est polyvalent et c’est à cette polyvalence qu’il doit son succès et sa reconnaissance unanime dans le champ du politique et du politiquement correct.
Bâbord ou tribord, même combat, il est dans tous les programmes, dans toutes bouches, dans toutes les promesses. Initialement vert, le mot est devenu multicolore, ne lui reste plus qu’à s’afficher sur un drapeau de la gay pride. Point commun dans la tempête, le mot rassure, pierre angulaire de constructions vides, il porte la peur grandissante que tout s’arrête, il est l’antidote sémantique de notre peur de la mort.
Les « monarques et leurs figurines » du monde politique se repose sur lui comme sur un bâton de berger pour convaincre les animaux que nous sommes tous, qu’il nous faut leur accorder leur confiance, qu’il serait bon de les garder à la tête du troupeau le temps nécessaire : « Pas de développement durable sans politique durable » pourrait être un slogan de campagne. Mais pour quel parti ? Nous serions bien en difficulté de trancher cette question.
A quand le parti du Développement Durable ? Un courant d’eau pur qui viendrait faire barrage à tous les autres et puiser dans toutes les autres formations politiques. Synthèse ultime d’une société noyée par l’alternance des idées et des modes.
Dans le monde des marques…
Les marques révèlent par les mots qu’elles utilisent certaines évolutions de la société. Avec plus de mille protections du mot « durable », les entreprises semblent en être tombées amoureuse. Un amour de raison, un amour calculé pour convaincre les lécheurs de vitrine qu’elles sont solides ou bien que leurs productions s’inscrivent dans une histoire sans faim.
Le mot « durable » est une version temporelle du mot « transparence » dans une société où l’on ne montre que le déjà vu. Il est un leurre, le contre pied symbolique et illusoire qu’il serait bon de revenir à une époque où les choses s’inscrivaient dans un avenir que l’on imaginait stable.
Mais tout s’est accéléré, de l’info à la production de biens matériels, il faut aller vite. Alors pour ralentir tout ça on a sorti un mot magique du chapeau de la sémantique. Un mot fourre-tout, pratique qui ne veut plus rien dire à force d’être utilisé. Pour les mots aussi la rareté engendre le désir. Un « désir d’avenir », tient ça me rappelle quelque chose… Télescopage et amalgame, dur-dur d’être un mot à la mode.
En attendant que le temps passe, à n’en pas douter le mot n’a pas fini de faire des petits, un peu comme ces restos japonais que l’on voit fleurir dans de petites villes alors que les grandes sont déjà passées à autre chose. A moins que tout ça ne soit que l’indicateur d’une consommation que l’on espère durable. « Consommation durable », le nom de marque a déjà été déposée cinq fois. Décidément tout va très vite.